Des chaussures et de l’appartenance culturelle
28 Mar
Il y a des choses que je n’arrive jamais à faire dans les temps, comme récupérer mes vêtements chez le nettoyeur ou mes chaussures chez le cordonnier. C’est comme ça. Ça peut prendre des mois avant que je n’y retourne.
Récemment, je suis passée chez le cordonnier. « Bonjour monsieur! Je viens récupérer des chaussures qui sont prêtes depuis… bien longtemps!
– Longtemps comme… une semaine?
– Non, plusieurs semaines! »
Je vois cette expression sur le visage de l’homme qui vient de faire un lien.
« Ah! Longtemps comme dans deux mois!
– Oui, c’est possible », lui ai-je répondu avec un sourire amusé.
Il avait tout de suite compris de quelle paire de chaussures il était question. Il est disparu quelques secondes dans l’arrière-boutique avant de revenir avec mes chaussures à la main. Il n’a pas demandé mon nom, il n’a pas même pris mon coupon. « Ce sont celles-là? » Pile, poil!
Il me conseille ensuite sur les cires, un nettoyant que je cherchais puis, il ose la question: « Vous êtes de quelle origine? » Je lui explique que mon père est Haïtien et que ma mère est Québécoise. « Je suis un petit mélange! »
« Mais, poursuit-il, vous, vous êtes Haïtienne ou Québécoise? »
C’est rare qu’on me pose cette question… Je trouve ça intéressant.
« Je suis Québécoise monsieur, je suis née ici. »
« Ha! » s’exclame-t-il haut et fort, avec la satisfaction de celui qui vient de me coincer pour une seconde fois. Je le regarde interloquée et il poursuit. « Mais non, vous devriez être Haïtienne, puisque votre père est Haïtien. Vous portez le nom de votre père, donc vous êtes Haïtienne. » Là, je me suis efforcée de laisser de côté les considérations féministes qu’on est tentées d’avoir en entendant de tels propos. Ici, les enfants peuvent porter le nom du père, de la mère ou des deux parents. Est-ce que le nom joue à ce point dans le système identitaire et l’appartenance culturelle d’un individu? J’ai regardé ma montre, j’avais le temps. Je suis restée, pour explorer avec lui le sujet plus à fond…
« Vous savez, d’après ce que j’ai observé, les enfants prennent plus souvent l’identité culturelle de la mère, étant donné que, dans bien des cas, c’est elle qui passe le plus de temps avec l’enfant. Les enfants d’un couple mixte français-québécois auront l’accent français lorsque la mère est Française et l’accent québécois lorsque la mère est Québécoise. Les cas où j’ai pu voir des enfants nés au Québec se revendiquer d’une culture ou d’une appartenance autre que québécoise, c’est quand les deux parents sont d’une autre nationalité. Dans ce cas, bien souvent, la culture et la langue du pays d’origine continuent plus facilement de vivre et rayonner à la maison, d’où l’appartenance. Vous, vous êtes de quelle origine?
– Je suis Syrien et mes enfants sont Syriens.
– Et votre femme?
– Elle est Québécoise.
– Et vos enfants disent qu’ils sont Syriens quand ils se présentent à leurs amis?
– Oui!
– Est-ce qu’ils sont nés en Syrie?
– Non, ils sont tous les deux nés au Québec. »
Eh bien ça, ça a été ma surprise!
« Vous savez, me dit-il, depuis la nuit des temps, c’est le père qui donne son nom aux enfants et c’est par le père qu’on trace la généalogie. Il est donc normal que l’appartenance soit définie pas l’origine du père. Il n’y a qu’au Québec que c’est différent, il n’y a qu’au Québec que ça semble passer plutôt par la mère. Je ne comprends pas pourquoi… »
Eh bien mon non plus! Je ne savais pas qu’ailleurs, les enfants avaient davantage tendance à se définir par la culture de leur père, peu importe le pays où ils sont nés. Je pense que je vais mener ma petite enquête là-dessus…
Et j’aimerais beaucoup vous entendre sur le sujet!
(Photo: Denis Adam de Villers)
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