Archive | novembre, 2016

375 ans de quoi ? D’immigration !

25 Nov

375 ans de quoi ? D’immigration !

La publicité lancée cette semaine pour les fêtes du 375e de Montréal, ne montrant que des Blancs, en a choqué plus d’un. Les médias québécois manqueraient d’audace ou ne sont-ils que des décennies en retard ?

Dans le Québec des années 60 ou 70, quand un étranger arrivait dans un nouveau patelin, on lui demandait d’où il venait, on le questionnait sur ses origines, ses habitudes de vies. C’était l’expression d’une certaine curiosité de l’Autre, puis, on passait à autre chose. Depuis, la société est aussi passée à autre chose, mais pas les médias.

Les décennies de retard des médias québécois

On croirait parfois la télé figée à cette époque ancienne. Avant de pouvoir faire partie de la sphère médiatique, on dirait qu’il faut d’abord parler de sa différence. Pour exercer un attrait télévisuel, s’il ne partage pas l’origine de la majorité, l’humoriste mettra la différence culturelle en avant, le chroniqueur ira parler de communautés culturelles, le chanteur donnera dans la tradition des ancêtres et ainsi de suite. Après coup, l’artiste pourra passer à autre chose et exister en tant qu’artiste.

Durant une entrevue avec Gilbert Rozon et Philippe Fehmiu sur RDI cette semaine, Patrice Roy a admis : « Dans les médias en général, les émissions de grande écoute, les émissions d’information, oui, on doit faire davantage d’efforts. » Il traduisait bien malgré lui un état d’esprit largement généralisé : l’effort. L’effort de faire une place à la différence, alors que ça devrait maintenant être naturel, dans un contexte de réelle ouverture et d’acceptation.

À force de se sentir exclu, ce public, qui ne se reconnaît pas dans les médias québécois, va consommer ailleurs, là où ces premiers pas sont déjà largement franchis, soit au Canada anglais et aux États-Unis. Perte d’auditoire dans un marché déjà en crise.

Le serpent qui se mord la queue

Le web interpelle les jeunes, mais aussi l’ouverture et l’inclusion. Si la télé continue d’être si fermée, le jeune public va continuer de déserter, pour cause de divergence de valeurs et de vision. Rien ne sert de tenter de séduire le jeune public sur le web si c’est pour y véhiculer les mêmes archétypes.

Gilbert Rozon, dans la même entrevue, au sujet de la grande émission qui doit lancer les festivités du 375e de Montréal, a expliqué: « Il y a eu des choix de marketing qui ont été faits, de mettre les stars en avant, pour aller chercher de l’auditoire. »

« Mettre des stars en avant ». C’est à la fois la bête noire et le dada des stations de télé, Radio-Canada y compris. Avec les multiples compressions subies, il lui faut maintenant capitaliser sur la popularité des visages mis à l’écran afin que les publicitaires y placent à bon prix leurs annonces. Si les promesses de cotes d’écoute ne sont pas remplies, il faut rembourser une partie du montant aux publicitaires. Le diffuseur public fait maintenant des sondages de popularité avant d’accepter de confier une émission à quelqu’un. De nos jours, la façon de s’exprimer, de faire des liens, d’amener, de cerner et creuser un sujet passe après la popularité de l’individu. Et comme la télé fabrique les vedettes, elle tourne désormais sur elle-même. C’est le serpent qui se mord la queue. Comment voulez-vous qu’elle change si les gens connus ont une couleur homogène et qu’on ne veut que des gens connus ?

Osez!

En 2012, Philippe Fehmiu et moi avions animé une émission spéciale à MAtv portant sur la diversité à l’écran. Des représentants des tous les milieux y étaient : diffuseurs, producteurs, comédiens, auteurs, etc. Une chose m’avait frappée : la frilosité des auteurs. L’une avait dit ne pas oser écrire de rôles pour la diversité, parce qu’elle ne savait pas comment ça se passait dans les maisons, comment vivaient les gens. Oublierait-on qu’il y a ici plusieurs générations installées ? Que l’on peut mettre en scène une jeune asiatique qui vit exactement comme une jeune québécoise ? Un Noir qui vit avec une Blanche dont les enfants sont adoptés ? Une grand-mère Blanche remariée avec un Latino ? Et la beauté de la chose, c’est que tout ce beau monde vit des histoires d’amour enlevantes, des problèmes au travail, une adolescence tourmentée, des hauts et des bas tout comme les Québécois et ça a rarement de lien avec la couleur ou l’accent.

Chers amis des médias, osez le rattrapage, osez la vie que vous connaissez en sortant du bureau ! Ça ne peut qu’être positif. On aimerait ça se reconnaître quand on allume la télé et faire partie du party nous aussi. Parce qu’au fond, on va fêter ensemble 375 ans d’immigration, non ?

 

Photo: Philippe Fehmiu et Marie-Eve-Lyne Michel durant l’émission Les coulisses d’open Télé (MAtv), portant sur la diversité à l’écran.
Crédit Photo: Charles Nouÿrit

(2016)

Au matin du 9 novembre…

9 Nov

Au matin du 9 novembre…

Ce matin, au petit déjeuner, je lui ai dit: « Trump a gagné. Trump est le nouveau président des États-Unis. » Elle m’a regardée, avec ses grands yeux bleu-vert, d’un air inquiet, déconfit. « Maman, ce n’est pas possible! Ce n’est pas vrai ? »

J’aurais aussi aimé que ce soit une mauvaise blague. Elle n’a évidemment pas suivi toute la campagne et ne sait pas non plus tout ce que représente Trump, tout ce que représente ce vote. Elle n’a que 11 ans. Nous avons parlé de son comportement intimidateur, de ses propos qui vaudraient une suspension à n’importe quel élève de son école.

J’ai voulu poursuivre la discussion, mais n’en ai pas été capable. Je me suis demandée par où commencer. Sa vision des femmes? Fallait-il lui expliquer qu’il les considère comme des objets et que le nouveau président des États-Unis a dit d’elles:  » Grab them by the pussy « ? Peut-on dire ça à une fillette de 11 ans?

Je suis canadienne et métissée, fille d’un père immigrant haïtien, je vis avec un immigrant français et nous vivons au Québec. À elle seule, notre petite famille représente un beau mélange planétaire. Faut-il lui dire que les Américains ont choisi un président qui tient des propos racistes? Que les difficultés que vivent les Noirs et d’autres minorités ethniques ou religieuses aux États-Unis pourraient bien s’accentuer avec une montée de l’intolérance et de la xénophobie?

Dois-je lui parler de la planète que nous lèguerons à sa génération alors que le leader d’une des plus grandes puissances économiques de ce monde croit que le réchauffement climatique n’est qu’une invention des Chinois et que ses manifestations ne sont que les aléas de la météo? Et que, plutôt que de développer des énergies vertes et durables, il propose de relancer l’industrie du charbon, ainsi que l’exploration pétrolière et gazière? Peut-on dire tout ça à un enfant au petit déjeuner?

J’ai choisi de la laisser découvrir ces choses à petites doses, à mesure que se tisserait l’actualité américaine du gouvernement Trump.

En voiture pour l’école, elle m’a dit:
« Maman, pour devenir président, ça ne prend rien de spécial?
– Non, lui dis-je. Aux États-Unis, il faut être né aux États-Unis. Au Canada, tout citoyen canadien peut devenir premier ministre.
– …
– Et il faut avoir 18 ans.
– Ha! C’est ça!
– Tu veux devenir premier ministre?
– Je ne suis pas Américaine, donc je ne pourrais pas être présidente des États-Unis, mais peut-être ici, au Québec ou au Canada. Il y a tellement à faire maman, tellement…  »

Elle a pris sa petite boîte à lunch, m’a embrassée et est partie pour l’école.
Au matin du 9 novembre, ses idéaux sont intacts.

(2016)

Petite bulle de bonheur

4 Nov

Petite bulle de bonheur

Dans ces jours où l’automne s’efface doucement, où la froidure et la noirceur gagnent à chaque instant un peu sur notre moral, je me terre dans mon bureau et travaille. Lors de petites pauses où mon esprit divague, j’ai l’impression d’entendre, dans un écho lointain et délicat, le rire ensoleillé de mes enfants jouant dehors.

Comme si le temps se tordait, je suis aspirée dans les dernières chaudes journées de l’automne 2015, alors que l’été ne voulait plus nous quitter et que nous continuions de nous languir dans cette chaleur agrémentée du voile chatoyant des couleurs automnales. Mon Petit Coeur n’avait alors que 21 mois. Nous faisions des bulles, dans la cour. « Encore maman! », lançait-elle en riant. À pleins poumons, à plein bonheur, je soufflais et gonflais des bulles de savon. Sans répit, avec une joie qui ne se tarit pas, elle courait et sautait derrière chacune pour les attraper. Et elle riait, haut et fort. Sans relâche, avec un plaisir jamais altéré, elle recommençait sa course, ses sauts, sa poursuite des bulles de savon. Et je me suis dit que c’était sans doute ça, le bonheur. Que cela. Réussir à vivre ce plaisir simple, entier et naïf dans l’atteinte d’une bulle de savon. Peu importe qu’on l’attrape ou pas, cette bulle. Le plus grand des plaisirs résidait dans sa poursuite.

Cette année encore, durant les belles journées de l’automne, nous avons fait le même jeu. Et dans la beauté de l’enfance, Petit Coeur s’est élancée avec le même entrain et le même rire derrière les bulles. Le vent les balançait, les ballottait. Et elle courait. Le soleil y faisait luire des reflets parfois bleus, parfois roses. La magie était la même. Le bonheur encore palpable. J’avais de l’admiration pour sa capacité à s’émerveiller toujours autant devant les bulles de savon. Je me suis promis de ne pas l’oublier et de prendre exemple sur ces deux petites années et demi d’existence.

Parce qu’en fait, ce n’est pas comme si c’était la dernière, qu’il nous faudrait vivre chacune de nos journées, mais bien comme si c’était la toute première. Encore et encore. C’est ainsi seulement, que l’on conserve une capacité d’émerveillement devant la vie et sa beauté. Il me semble…

 (2016)