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Je t’ai vue

15 Mar

Je t’ai vue

Je t’ai vue, tu attendais ton burger quand je me suis approchée du comptoir pour passer ma commande. Tu étais là, l’air serein, calme, avec tes dreads roses au bout d’une chevelure entremêlée et d’une longue repousse châtain. Tu attendais impassible, un pas de côté. Quand j’ai compris que tu avais déjà été servie, j’ai commandé ma frite. Tu portais un pantalon de coton ouaté beige, ample et court, un large manteau ouvert par-dessus ton kangourou noir et quelques autres chandails superposés. C’est vrai qu’il ne fait pas chaud et qu’on vient d’essuyer l’une de ces fameuses tempêtes de neige du mois de mars, qui font rager tous ceux qui ont hâte que l’hiver s’évanouisse. Je suis frileuse. Je suis habillée pas mal plus chaudement que toi. Je consulte mon téléphone, tu regardes patiemment autour de toi.

Ma frite arrive avant ton burger. Je me demande pourquoi. Peut-être ta commande était-elle plus volumineuse que la mienne? Je suis plutôt fauchée ces temps-ci. Juste une petite frite pour apaiser ma faim avant d’aller retrouver mes amis, ce sera suffisant. Je me dis que je mangerai mieux ce soir, à la maison. Ça me donne bonne conscience. Je m’assois un peu plus loin, sur un tabouret, à peu près à mi-chemin entre le comptoir des commandes et la porte d’entrée. Tu attends toujours. J’ai l’impression de t’avoir vue sourire. Je plonge dans un bouquin en grignotant ma frite.

Un bruit. Je lève les yeux. En face, un employé vide la poubelle. Ha non! C’est toi. Merde! Tu as échappé quelque chose dans la poubelle? Wash! Tu as ouvert la porte de la boîte qui la masque et en as retiré la poubelle pour y plonger la main. Des clés? Un bracelet? La poisse! Tu restes calme, pourtant. Et mes yeux s’arrondissent lorsque je te vois en sortir un sandwich, à pleine main, aux trois-quarts mangé. Non! Mais qu’est-ce que tu fais? Et tu replonges la main pour en ressortir un restant de frites, puis un petit contenant de mayonnaise. J’ai envie d’aller te voir et de t’offrir un repas et, curieusement, j’hésite. Je me demande à quel point tu le fais par liberté ou pas. Tu as l’air heureuse d’avoir trouvé ton sandwich et avant que j’aie seulement le temps de voir clair parmi les idées qui traversent mon esprit, tu as déjà replacé la poubelle convenablement et commencé à te diriger d’un pas sûr et décidé vers la porte de sortie, arrachant à pleines dents une bouchée à ce restant de sandwich. Tu pousses la porte d’un grand geste, comme la femme qui inspire l’air nouveau alors qu’elle marche vers la liberté, et tu sors au coin de St-Denis et Mont-Royal, avec toute la confiance de celle qui a pris son repas pour emporter.

Sur mon petit tabouret, je reste estomaquée. La pauvreté prend vraiment des visages de plus en plus différents… On peut toujours choisir la façon dont on vit les choses. La tienne m’impressionne.

 

Photo: Michael Vesia

2018

Bonheur matinal

26 Avr

Bonheur matinal

Ma grande fille rentre de chez son père, ce matin, et se jette sur son bébé soeur. « Oh! Il me semble qu’elle a changé depuis hier, s’exclame-t-elle.
– Ha oui? Toi aussi tu as changé ma chérie, lui dis-je en l’embrassant. Et moi, est-ce que j’ai changé? »

Elle m’observe attentivement, ses grands yeux bleus plongés dans les miens, avant de déclarer:
« Non, maman, tu es toujours aussi jolie et aussi gentille. »

Il y a des jours où, vraiment, je me demande où elle a appris à être aussi charmante!

© Photo Charles Nouÿrit

(2014)

Au jardin des mots et du bonheur

30 Sep

Au jardin des mots et du bonheur

Samedi après-midi, dans le soleil ambré de la fin de journée, nous nous sommes rendus, mon amoureux, ma fille et moi, dans le jardin de Kim Thuy, qui y recevait quiconque passait par-là et qui souhaitait s’offrir une pause de verdure et de culture.

Nous y sommes arrivés en fin d’après-midi. Depuis la ruelle, nous nous sommes faufilés entre clôture et cabanon, écartant au passage quelques branches d’arbres, pour nous joindre à une foule déjà nombreuse. Nombreuse et silencieuse. Michel jouait du piano. Michel Montreuil est un ami d’enfance, un gars drôle et talentueux que j’étais très fière de voir sur cette scène qu’était devenue la terrasse de Kim. Sous ses doigts agiles chantaient des notes qui volaient et virevoltaient au gré du vent et du bruissement des feuilles, de têtes grises en jeunes oreilles. Le jardin des mots devenu musical emplissait totalement l’espace et sûrement bien au-delà.

J’avais à peine fait un pas sur l’herbe verte que déjà, j’étais happée par cette bulle de bonheur. Un mot de Kim, une guitare, un troubadour: Michel Rivard entame maintenant quelques airs dans cette langue si imagée et colorée qu’on lui connaît. La lumière maintenant oblique descend doucement sur le jardin, l’ombre des feuilles vient chatouiller le chanteur, c’est splendide et je suis bien. Derrière moi, mon amoureux m’enlace de ses bras, et pose ses mains sur mon ventre, sur l’enfant qui viendra. Un peu plus loin devant, ma grande fille me regarde en souriant, heureuse, et m’envoie un baiser à la volée. Dans ce jardin, à ce moment-là, tout était parfait. Une vaste émotion m’a envahie, comme une boule de chaleur montée en moi, faisant jaillir de mes yeux un trop plein de bonheur.

Chez Kim, ce jour-là, l’herbe était plus verte que nulle part ailleurs.

Elvis est mort!

17 Août

Elvis est mort!

17 août 1977. Je suis chez ma grand-mère. Notre famille s’était installée chez elle, à Ste-Thérèse. Après avoir passé un an en Haïti, on y faisait la transition, le temps que les parents retrouvent du boulot et un toît pour loger leurs enfants.

La cuisine était principalement meublée d’une grande table en bois. À une extrémité, un long comptoir parsemé de paillettes dorées qui faisait presque toute la maison en profondeur, soit jusqu’à la véranda menant à la cour arrière. Derrière la table, un vieux vieux frigo et un vieux congélo, côte à côte, qui devaient dater des années 50, avec ces grosses poignées qu’il fallait tirer vers soi pour ouvrir la porte et dont on a arrêté la fabrication parce que nombre d’enfants impétueux, jouant à cache-cache, étaient restés pris à l’intérieur. À l’autre extrémité, un buffet assorti à la table et, juste à côté, debout, interdite, le journal du matin entre les mains, ma grand-mère qui s’exclame: « Elvis est mort! »

En moins de deux, la tablée était debout réunie autour d’elle. Ma mère se lève précipitamment: « Quoi ? Elvis est mort ? »  Et moi, toute petite, qui veut prendre part à l’agitation, je délaisse subitement mon bol de céréales: « Qu’est-ce qui se passe ? Qui est Elvis ? Maman, pourquoi c’est grave ? »

Il y a des moments comme ça, sans trop qu’on sache pourquoi, qui restent à jamais gravés dans notre mémoire. Il paraît que tout le monde se souvient de là où il était quand Armstrong a marché sur la lune. Moi, je n’étais pas née. Mais je me souviens du lendemain de la mort d’Elvis, du référendum de 80, de la chute de Duvalier en 86 et j’espère vivement que ma fille se souviendra de la mort de Michael Jackson. Parce que quand le roi meurt, on ne crie pas toujours: « Vive le roi! »

Crème glacée limonade sucrée

10 Juil

Crème glacée limonade sucrée

Par une chaude journée d’été, quoi de meilleur qu’on bon cornet de crème glacée quand on a sept ans? On en prendrait à tous les repas si maman disait oui!

Ma Pitchounette avait très hâte de savourer le sien au sortir de la piscine. « Maman, tu pourrais me mettre des petits bonbons dessus s’il te plaît? » Comment résister à ce petit minois et ces grands yeux tout bleus qui se réjouissent déjà à la seule vue du cornet, même encore vide?

Il y en a des roses, des violets, des bleus, des jaunes et des multicolores. « Lesquels veux-tu ma chérie? » Elle choisit les multicolores. J’en verse dans un petit bol et y plonge le cornet, pour bien l’enrober. Avec grand bonheur, je le tends à Pitchounette.

« Eurk! Maman, on dirait que la crème glacée est sure! » De la crème glacée sure? Ça existe?? Elle a compris le concept du lait qui surit […]

Derrière moi, au café

6 Juil

Derrière moi, au café

Vieillir…

Elles sont là, derrière moi, au café. Deux jolies mamies au visage marqué par le temps et au regard encore coquin. Mais un jour, comme ça, malgré elles et à cause du nombre des années, plus rien ne reste privé. Elles sont un peu sourdes, vous voyez? Alors tout ce qu’elles disent, tout ce qu’elles content, le moindre problème de santé, tout le resto en est au courant.

Et en même temps, écouter ces deux mamies a quelque chose d’instructif. Retrouver son amie de fille, même passé 80 ans, ça reste chouette! Et avec elle, comme à toutes les phases de la vie, on continue de partager ce que l’on vit. Les entendre rappelle à ma mémoire toutes ces heures passées au téléphone avec mes amies lorsque j’étais adolescente, toutes ces histoires d’amour […]

Fou rire à bord de l’A-380

19 Avr

Fou rire à bord de l’A-380

J’ai toujours trouvé que la traversée de l’Atlantique, si longue en avion, ne nous servait qu’à faire le chemin intérieur nous permettant de bel et bien quitter un endroit pour mieux arriver à l’autre.

Hier, j’ai encore quitté Paris. Je l’ai quittée maintes fois, cette belle ville. Je l’ai quittée en furie de ne devoir rentrer chez moi que pour faire valider un titre de séjour. Je l’ai quittée le coeur fébrile à l’idée de croiser mon père à l’aéroport, alors qu’il repartait vivre en Haïti. Je l’ai quittée heureuse à l’idée de revoir amis et famille que je n’avais pas vus depuis longtemps. Je l’ai quittée le coeur gros, chargé de mille images que je savais désormais n’être que des souvenirs. Hier, j’ai quitté Paris le coeur heureux d’une belle semaine passée à en sillonner les rues, à y goûter de si bons vins, à revoir des amis, à savourer de si bons plats (Ha! Ce poulet sauce au vin jaune et aux morilles de l’auberge… euh! Comment déjà?). Et, comme toute personne qui a bien su profiter de la vie, je suis montée à bord de l’avion et me suis écroulée dans mon siège. Je suis tombée raide endormie, avant même le décollage. Va pour le voyage intérieur! […]

Flashback. Paris 1999.

8 Jan

Flashback. Paris 1999.

Les pieds posés sur les pavés arrondis par le temps. Rue Dante, coin Galande, à deux pas du parvis de Notre-Dame. Prête pour l’aventure, j’emménageais dans la Ville Lumière. Une bague à l’orteil, l’esprit libre comme les dix doigts de mes mains, j’embrassais la vie et ses rebondissements. J’écoutais Vaya Con Dios, tout comme ce matin. Le café fumait, tout comme ce matin. Et j’écrivais, tout comme ce matin. J’en ai noirci, des pages, de mille observations, milles réflexions, amusantes, cocasses et parfois simplistes. Je dois avoir près d’une quinzaine de cahiers Clairefontaine gribouillés des illuminations du quotidien. Au fil du temps, je les ai appelées mes « anecdotes urbaines ». Elles sont partout, il suffit d’ouvrir l’oeil, de tendre l’oreille, elles sont là et elles s’offrent le plus souvent avec gaieté à qui veut bien les voir.

J’écoutais Vaya Con Dios, tout comme ce matin, et le café fumait. J’ai bien voyagé et j’ai bien observé durant cinq belles années. Puis, s’en est suivie la sédentarité, un décennie complète sans bouger. Bah ! J’ai bien mis l’orteil une ou deux fois dans l’eau salée, mais on ne peut pas dire que le voyage faisait partie de ma vie. Je dois admettre qu’elle a aussi son charme et ses joies, la sédentarité. Mais cette année, j’ai rompu. Rompu avec le rythme, les habitudes, la vie effrénée. J’ai mis un grand hola ! j’ai tout retourné, « viré de bord » comme on dit en bon Québécois, et décidé de retrouver ce qui me faisait vibrer… J’ai relu mes anecdotes et eu envie d’en écrire encore.

Et que s’écrive 2012 !

1 Jan

Et que s’écrive 2012 !

Au lendemain du marathon des festivités, le calme règne autour de moi. Dehors, il fait doux et il floconne légèrement. Dedans, la musique rend l’atmosphère hivernale encore plus chaleureuse et feutrée. L’heure est aux bilans, aux souhaits, aux bons voeux. Que nous lègue 2011 ? Que nous réserve 2012 ?

J’aime bien me réserver un moment de calme, en tout début d’année, pour jeter un regard en arrière et penser aux accomplissements. C’est le moment de se féliciter des bons coups et de comprendre les ratés. C’est aussi un bon moment pour regarder vers l’avenir, déterminer des objectifs à atteindre et la façon d’y parvenir.

Des objectifs au premier de l’an, on en a souvent trop ! Le nombre des années […]