Les « Monsieur Lazhar » de nos écoles
27 Jan
J’ai été séduite par l’entrevue menée par Catherine Perrin, à Medium Large, le matin du 26 janvier, à Radio-Canada. En compagnie d’Ève Christian, Kim Thùy, et Francis Reddy, elle a parlé des Monsieur Lazhar de nos écoles. Véritable hommage à ces professeurs dévoués qui ont su marquer leurs élèves de leur passion et leur insuffler un désir d’apprendre et d’aller plus loin.
(Émission disponible ici, environ 20 minutes sont consacrées à l’entrevue évoquée)
C’est bien d’en parler, étant donné la situation actuelle de notre système d’éducation, dont on relève bien plus souvent les lacunes que les bons coups.
Je me suis alors mise à penser à mes Monsieur Lazhar à moi, à ces profs qui m’avaient marqués. Je me suis rappelé, en souriant, mon professeur de français en secondaire III, Marcel Themens, qui nous avait bien fait rire en nous présentant une allégorie de la vie, faisant des parallèles avec « une machine à patates » qui servait, dans l’industrie, à faire le tri entre les pommes de terres, selon la grosseur. Celles qui n’avaient pas assez de chair tombaient sous le treillis, directement aux ordures. Je crois que la moitié du cours était passée sur ce message qu’il avait à nous livrer, cette importance d’apprendre, de bien se cultiver, de se dépasser pour de devenir « la meilleure patate possible » afin de nous garantir un bel avenir. Il y a des images loufoques qui atteignent quand même leur objectif!
Il y avait aussi Antoine Rabbat, mon professeur de physique de secondaire II, que certains trouvaient trop exigeant. Un jour, après la classe, il avait pris tout son temps pour répondre à une des mes interrogations et m’expliquer le phénomène scientifique autour d’une anecdote relatée par Hubert Reeves, dans son livre L’heure de s’enivrer. En 1942, lors du siège de Léningrad, aujourd’hui appelée St-Pétersbourg, il y eut un immense incendie dans la forêt de Raikkola. Hommes et chevaux se sont trouvés emprisonnés par un cercle de feu. Un millier de chevaux de l’artillerie soviétique se sont alors lancés dans les flammes pour atteindre ensuite le Lac Ladoga. Les bêtes survivantes se sont massivement jetées dans le lac. Au matin, lorsque les premières patrouilles ont atteint la rive, elles ont trouvé devant elles des centaines et des centaines de têtes de chevaux gelées, figées sur place en plein mouvement. À la maison, nous avons téléphoné à un ami de la famille, Dr. Otto Siebert, qui était alors médecin pour l’armée allemande. Il n’a pas vu les chevaux, mais comme il se trouvait à proximité, dans un hôpital de campagne, il en a entendu parler par les troupes. M. Rabbat m’avait alors expliqué le phénomène de surfusion. Comme la température avait baissé drastiquement et très rapidement cette nuit là, la température du lac était tombée sous zéro, mais sans que le lac ne gèle. Il n’aurait suffit que d’un grain de sable pour rompre ce fragile équilibre qui tenait les molécules d’eau à l’état liquide. Quand les chevaux sont, en masse, entrés dans le lac, l’équilibre fut rompu et la glace s’est formée quasi-instantanément. L’esprit qui saisit et qui s’émerveille. J’ai vécu, ce jour-là, un des beaux moments de mon parcours scolaire.
Et combien de fois, en compagnie de mon père, autrefois professeur de français et de latin, ai-je croisé d’anciens étudiants, trop heureux de le retrouver. Je crois qu’il a été, lui aussi, un Monsieur Lazhar. Je me moquais un peu de lui, en lui disant que ses étudiants devaient bien rigoler derrière son dos, à cause de cette habitude qu’il a de ne pas pointer avec l’index, mais avec le majeur ! « Toi, là, au fond de la classe, tu m’écoutes ? » Puis, est arrivé un jour cet étudiant, qui avait avoué à mon père vouloir devenir avocat. Au moment de sa graduation, mon père lui avait dit, le félicitant: » Je te souhaite du succès. Défend bien la veuve et l’orphelin. » Celui-là, au centre d’achats, avait accouru vers mon père: « Monsieur Michel! J’ai bien rempli la mission que vous m’aviez confiée, vous savez?
– Une mission?
– Oui! Je suis devenu avocat. Vous m’avez dit de bien défendre la veuve et l’orphelin. Dans ma pratique, je n’impose aucuns honoraires aux veuves ni aux orphelins qui se présentent à mon cabinet. Je me fais un devoir des les défendre gratuitement. »
Mon père est aussi, un de ces Monsieur Lazhar…
(Merci à Christian Côté, édimestre à Médium Large, Radio-Canada)
(Photo: Hamish Rickerby)
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