Partir, mais pas tout a fait…
3 Jan
Quatre heures du matin. Pendant que nous dormions tous, bien au chaud sous la couette, mon haïtien de père bravait le froid pour mieux le quitter. Il faisait -13°C au thermomètre, -22°C avec le vent. Rien pour le faire changer d’idée! Il a bouclé bagages, est monté dans le taxi, direction aéroport et… Haïti Chérie !
Un immigrant quitte-t-il un jour vraiment, complètement, définitivement son pays ? Je crois que mon père n’a jamais choisi de quitter définitivement Haïti. Je crois plutôt qu’avec les années, il a simplement décidé de ne plus y vivre. L’attachement reste, cependant! Il avait 18 ans quand il est parti, laissant derrière lui sa mère, sa sœur et un Duvalier tout puissant. Il savait qu’ici, il pourrait acquérir un savoir qui profiterait à son pays d’origine. Il est venu étudier, projetant de rentrer par la suite, diplôme en poche. Le besoin de sortir les siens de la misère. Ce qu’il n’avait pas calculé, c’était ma mère: jolie, menue, dévouée infirmière qui lui a mis le grappin dessus! Il n’est pas reparti.
C’est qu’elles ont contribué à le peupler, ce pays, les femmes d’ici! Si on remonte un peu plus loin dans l’histoire, on apprend qu’au début de la colonie, il n’y avait ici que 376 femmes, pour 639 hommes. Elles avaient beau jeu! Vers 1665, quand le roi de France a mis de l’avant sa politique des mariages, on mettait à l’amende les hommes célibataires. Vous pariez qu’ils avaient les yeux grands ouverts lorsqu’une jolie fille passait, même sous des dizaines de centimètres de fourrure? Et quand les filles du roi sont arrivées dans la colonie, les hommes célibataires n’avaient que quinze jours pour trouver une épouse, sans quoi, ils perdaient leur permis de chasse! Bref, ce n’est pas d’hier que les femmes d’ici attirent les hommes d’ailleurs, mon père y compris. Merci maman.
Mais ce matin, plus rien n’y faisait. Le froid, comme chaque hiver, avait raison de lui et l’appel de la mère patrie, réclamant ses services, a titillé cette fibre qu’il a toujours bien accrochée au cœur. Mon père est parti enseigner, bénévolement, à la faculté des sciences de l’éducation du Collège Régina Assumpta. Je suis certaine qu’à 18 ans, il n’avait jamais imaginé que ce ne serait qu’à la retraite qu’il pourrait enfin redonner à son pays d’origine.
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