Le jour où la marche ne s’est pas arrêtée
7 Mai
Ils s’étaient rassemblés pour défendre ce qu’ils estimaient être un droit fondamental. Le temps était bon, l’humeur était joyeuse. Ensemble, ils ont entamé la marche. Hommes, femmes, enfants, ayant aux pieds chaussures de ville comme chaussures de marche, tous allaient d’un même pas. C’était un grand rendez-vous, tous étaient vêtus proprement: ils allaient rencontrer l’instance décisionnaire.
Au début du parcours, aucun obstacle, aucune présence policière. Ils en ont été un peu surpris. Ils n’en étaient pas à leur première manifestation. Des étudiants avaient travaillé de concert avec la communauté pour mettre sur pied une campagne de sensibilisation. Certains rassemblements avaient été houleux. Récemment, une des leaders du groupe, une femme bien estimée de la communauté, avait été arrêtée, violemment, jetée au sol, ce qui a suscité beaucoup d’indignation. En guise de protestation, un groupe de professeurs s’est formé. Ils étaient 125. Ils sont allés parler au chef de police, lui donnant une leçon de démocratie: « Ce n’est pas un problème local, c’est un problème national. Vous ne pourrez empêcher qui que ce soit de voter, c’est à la base de notre démocratie ».
Cent vingt-cinq professeurs sont allés parler démocratie avec les policiers
L’appui des professeur a insufflé un vent d’espoir chez les jeunes. Les professeurs savaient qu’ils risquaient des sanctions pouvant aller jusqu’au congédiement. Mais qu’à cela ne tienne, l’idéal était plus important. On verrait le reste ensuite. L’ensemble des manifestants a trouvé chez ces enseignants une inspiration, leurs idéaux étaient communicatifs. « Il est temps pour nous de dire à ces gens que s’ils ne font rien, nous n’aurons d’autre option que de nous engager dans une désobéissance civile plus large et plus drastique, de façon à attirer l’attention de la nation! » a lancé lors d’un discours le leader des manifestants.
La marche suivait son cours, pacifiquement. Les uns chantaient, les autres scandaient des slogans. Peu à peu, on commençait à voir des policiers border le trajet des manifestants. Puis, un hélicoptère a commencé à survoler la zone. Mais rien n’allait altérer la détermination des marcheurs. Ils ont engagé le pas sur le tablier du pont, sans se douter de ce qui les attendait de l’autre côté. L’instance décisionnaire, le gouverneur, l’autorité de les tous policiers refusait de rencontrer les manifestants. Il avait même décrété qu’il n’y aurait pas de marche ce jour-là; il avait ordonné aux policiers de l’arrêter. Comme ils franchissaient le pont, les manifestants ont découvert, tous alignés, une horde de policiers, masque à gaz au visage et matraque au poing. Ils ont fait encore quelques pas, puis se sont arrêtés. Les policiers ont ordonné à la foule de se disperser et de rentrer. Les 600 manifestants, calmes, sont restés impassibles, mais aussi immobiles. Les policiers ont chargé contre la foule. C’était un 7 mars, un Bloody Sunday…
Des images d’horreur ont fait le tour du pays sur tous les réseaux de télévision. Les journalistes qui étaient présents avaient du mal à faire leur travail, ils étaient chahutés, recevaient du spray dans les caméras et des balles de peinture. Les policiers ont renversé les manifestants, femmes et enfants, marchant sur eux. L’un a eu une fracture du crane, beaucoup ont été blessés. Après la charge, la cavalerie a suivi, frappant et battant les gens au passage des chevaux. Des bombes lacrymogènes ont été lancées. Cris, peur et panique. Des manifestants tentaient de transporter les blessés et d’évacuer les plus faibles, mais la densité du nuage causé par les gaz en a empêche plusieurs de rebrousser chemin pour porter secours à leurs congénères.
Le problème avait désormais transcendé la question initiale, les supporters sont venus de partout
Ce moment a marqué un point tournant dans le conflit, le problème avait désormais transcendé la question initiale. De partout au pays, les supporters ont afflué. Ils sont arrivés par autobus pour offrir leur support. Deux jours plus tard, une deuxième marche avait lieu. Ils étaient 2000. « Nous n’avons d’autre alternative que de continuer avec détermination. Nous sommes déjà allés trop loin pour reculer. (…) Notre nation a un rendez-vous avec son destin. » a déclaré le leader. Deuxième marche, même scénario. Au bout du pont, les policiers attendaient. Mais cette fois, les manifestants ont choisi une autre option: devant les forces de l’ordre, ils se sont agenouillés et ont prié. Puis, ils ont tourné les talons.
Deux semaines après la première marche, ils se sont rassemblés de nouveau. Ils étaient cette fois 3 200. Le gouverneur refusait toujours le dialogue et refusait d’assurer la sécurité des manifestants. Le 21 mars 1965, les Noirs de l’Alabama, marchant aux côtés de Blancs, catholiques comme protestants, enfants, étudiants, professeurs, députés, politiciens, tous ont marché d’un seul pas de Selma à Montgomery pour aller parler à un gouverneur, George Wallace, qui ne leur a jamais ouvert sa porte. Ils ont marché durant 5 jours, plus de 85 kilomètres, déterminés à obtenir le droit de vote dans leur État. À l’arrivée, ils étaient 25 000, leur leader en tête, Martin Luther King.
Au coeur des bouleversements, le 15 mars, le Président américain, Lyndon B. Johnson, a fait un discours devant le Congrès où il a demandé que soit instaurée une loi sur le droit de vote. La Voting Right Act est entrée en vigueur le 6 août 1965, permettant désormais à tout homme de voter, sans discrimination quant à la race ou la couleur et interdisant aux états d’imposer des conditions préalables, qualifications ou procédures visant à nier ou discréditer le droit d’un citoyen américain de voter*.
Eyes on the Prize – 06 – Bridge to Freedom (1965).
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*Les Afro-Américains avaient le droit de vote aux États-Unis depuis 1870, mais certains États du Sud imposaient des tests, des taxes et autres embûches que la plupart des Noirs n’arrivaient pas à traverser.
À lire ou à voir:
1965
Mouvement des droits civiques aux États-Unis
Bridge to Freedom 1965: un documentaire de 55 min, 6e épisode de la série Eyes on the Prize (illustré dans la fenêtre ci-haut)
Reportage « Bridge to Freedom » datant de 1996, qui résume les événements de mars 1965. (si vous comprenenez le nom du journaliste à 3 min 34, dites-le moi!)
Les professeurs vont rencontrer les policiers: du début du segment jusqu’à 1 min 55 environ.
7 mars 1965: la charge des policiers contre les manifestants, à partir de 2 min 10.
La marche pacifique et l’hélicoptère qui suit les mouvements de la foule
2012
Marée étudiante dans les rues de Montréal: la manifestation du 22 mars 2012 telle que couverte par Le Devoir (Presse Canadienne)
Une manifestation tourne à l’affrontement: publié le 26 avril 2012 sur le site de Radio-Canada
Vidéo de la manifestation du 25 avril où les policiers chargent contre les étudiants
Sur la manifestation du 25 avril, le point de vue de Léa Clermont-Dion (Léa Clermont-Dion a été nommée Personnalité par Excellence 2011 par l’organisme Forces Avenir et personnalité La Presse de la semaine pour ses efforts pour améliorer la condition des femmes, d’ici et d’ailleurs, elle est aussi à l’initiative de la Charte québécoise pour une image corporelle saine et diversifiée.)
Résumé des interventions policières contre les manifestants, à partir de vidéos des manifestants et de divers extraits de la couverture médiatique. Chevaux, hélicos, bombes assourdissantes et lacrymogènes…
Un groupe de professeurs va rencontrer les policiers du SPVM pour discuter de l’arrestation de leurs confrères à l’Université d’Outaouais et leur servent une leçon de démocratie.
Manifestation du 22 mars 2012, vue de l’hélicoptère de TVA
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