Perspective: Noirs | CORNEILLE

26 Fév

Perspective: Noirs | CORNEILLE

Corneille est chanteur. Né en Allemagne, il avait six ans lorsqu’il a mis les pieds au Rwanda, pays d’origine de ses parents. Il y passe sa jeunesse jusqu’à ce que les affres du génocide le fassent fuir, lui, survivant, vers l’Allemagne, puis vers le Canada. En 1997, il entreprend des études en communications à l’Université Concordia. Sa passion pour la musique le gagne peu à peu et il fonde, à la fin des années 90, un groupe Rythme n’ Blues. En 2001, il quitte la formation pour se consacrer à l’écriture d’un premier album solo, Parce qu’on vient de loin, sorti en 2002. Le succès est vif, la carrière de Corneille est lancée, tant au Québec qu’en France. Partageant désormais son temps de part et d’autre de l’Océan, Corneille, qui a depuis mis en marché quatre autres albums, entretient une prolifique carrière sur les deux continents. Il vit maintenant avec sa jeune famille en banlieue Nord de Montréal.

 

Né à : Fribourg-en-Brisgau, Allemagne

Origine : Rwanda

Profession : Chanteur

 

1. Ce que le fait d’être Noir m’a appris dans la vie :

J’apprends encore! J’ai une expérience de la négritude assez particulière, dans la mesure où j’ai commencé à être conscient de ma couleur au moment ou j’ai commencé à être connu. Jusqu’à l’âge de cinq ou six ans, j’ai habité en Allemagne, je n’y ai jamais ressenti quelconque rejet de la part des autres enfants en raison de ma couleur. J’ai vécu autre chose quand j’étais petit, mais pas ça.

Arrivé au Rwanda, à l’âge de 6 ans, je me suis senti différent pour la première fois. Ma différence n’avait rien à voir avec ma couleur,  mais tout à voir avec mon background culturel : j’étais de langue et de culture allemande. J’ai dû m’adapter à la culture de mes parents à un très jeune âge.

C’est au moment où j’ai commencé à être connu, au Québec et en France, que j’ai commencé à me trouver dans des cercles où j’étais le seul Noir. Ça m’a fait réfléchir sur la condition de la personne noire. C’est face à la popularité et la notoriété que la réflexion s’est présentée.

J’ai donc appris, en étant noir, que rien n’est Blanc ou Noir. Il y a des zones grises partout. J’ai aussi appris que le statut social pouvait parfois dépasser la couleur.

Quand tu vas dans un restaurant huppé, n’importe où dans le monde, dès lors que tu es de notoriété publique, on ne reconnaît pas un homme Noir versus un homme Blanc, on reconnaît un artiste connu. Les portes s ‘ouvrent malgré les préjugés qu’on peut avoir. Je pense d’ailleurs que c’est la raison pour laquelle, dans un pays comme les États-Unis, atteindre un succès, une notoriété publique et une supériorité financière est une chose qui obsède la communauté noire. Quand on sort la black card aux États-Unis, on n’a plus de couleur.

Il y a si peu de Noirs dans cette haute sphère sociale, si peu dans les médias, dans certains milieux dits élitistes du showbiz, si peu dans des endroits de loisirs branchés ou très cotés, dans des grands restos ou grands hôtels. Ça me frappe parce que lorsque j’y vais, jusqu’à ce qu’on me reconnaisse, on me regarde bizarrement. Je vois les gens se demander qui je suis. On a beau se dire qu’il y a une question de nombre, mais quand même, la proportion en terme de population blanche versus noire n’est pas maintenue en politique, ni dans les médias, et surtout pas dans mon domaine. Il n’y a pas de grande star en musique en France qui soit, par exemple, féminine et noire. Une vrai star : aucune ! Ici, on n’en parle même pas ! Des artistes, oui, mais des stars, non. Il y a pourtant une très forte communauté noire. C’est beaucoup plus complexe qu’une question de racisme ou de xénophobie. C’est purement économique et c’est aussi en relation avec qui nous sommes, avec des éléments inhérentes à l’être humain. On peut se sentir rassuré ou menacé par  le nombre.

2. Ce que j’aimerais dire aux jeunes qui liront mon message :

J’aimerais leur dire de ne pas s’inquiéter. Je pense que le monde évolue dans une direction qui favorise les mélanges de couleur, de culture; qui favorise des échanges qui n’étaient pas possibles quand j’étais jeune et encore moins quand mes parents et grands-parents l’étaient. Je crois que le monde va se structurer autour de valeurs culturelles qui seront beaucoup moins segmentées qu’elles ne l’étaient dans le passé. Je pense que, Noir ou Blanc, on va de plus en plus pouvoir trouver sa place et tirer son épingle du jeu en fonction de ses capacités et compétences, davantage que par rapport à son appartenance ethnique. Le fait que la couleur puisse être un handicap est de moins en moins vrai. La perception de ce que c’est qu’être Noir va changer. Une première et une deuxième élection d’Obama, aux États-Unis, aux yeux de mon fils qui vient de naître ou de celui d’un enfant de 7 ans qui commence à lire, ça envoie le message qu’un président noir aux États-Unis, c’est normal. Un jour, ce sera une femme. Ce ne sera pas extraordinaire, comme il n’est plus extraordinaire d’être Noir à la tête d’une multinationale aux États-Unis. Ça fera simplement partie du cours normal de la vie.

Être dans l’excellence n’exclura plus les Noirs ni les gens de couleurs, ce fossé va se resserrer de plus en plus. Le monde change, les économies changent et on a une nouvelle génération qui vit dan un monde où Noirs et Blancs cohabitent et peuvent avoir besoin les uns des autres.

3. Ce que j’aimerais dire à un immigrant :

Il y a moyen de pas venir au Québec au moins de février! Arrange-toi pour venir en mai ou juin!

Il faudrait être un peu de mauvaise foi que de dire qu’un immigrant pourrait arriver à Montréal et se sentir tout de suite à l’écart à cause de sa couleur. J’ai été élevé par des parents imprégnés par la culture occidentale qui n’avaient aucun complexe du Noir par rapport à l’homme Blanc. Aujourd’hui, il y a tellement de mélanges culturels que la couleur, ça reste un habillage.

Je suis immigrant moi-même. Souvent on immigre parce qu’on n’a pas le choix, parce qu’on est en mode survie, parce qu’on est à la recherche de quelque chose de meilleur que ce qu’on laisse derrière soi.

Je peux dire à l’immigrant la même chose qu’à un jeune. Je suis très optimiste pour l’avenir, pas du tout pessimiste. Je pense que l’humanité évolue et que notre intelligence émotive est aussi en train d’évoluer. On aura de plus en plus de compassion les uns envers les autres parce on n’a pas le choix. Un immigrant qui arrive va, de plus en plus souvent, se sentir davantage accepté que toléré.

 

Corneille

Corneille recommande le visionnement du documentaire Sing your song, sur le chanteur Harry Bellafonte, dont voici la bande-annonce.

 

Présentation de Perspective: Noirs
1er février: Oliver Jones (FR) | (ENG)
2 février: Dominique Anglade
3 février: Brian Tyler
4 février: Tetchena Bellange
5 février: Ulrick Chérubin
6 février: Jenny Salgado
7 février: Dorothy Rhau
8 février: Henri Dorvil
9 février: Isabelle Massé
10 février: Fabrice Vil
11 février: Anthony Kavanagh
12 février: Jean David Prophète
13 février: François Bugingo
14 février: Sarodj Bertin
15 février: Francesca Nelson 
16 février: Étienne Routhier-Fillion
17 février: Maxën Aly
18 février: Nefertari Bélizaire
19 février: Ali Nestor Charles
20 février: Paola Rachel Jean-Pierre
21 février: Benz Antoine (RF) | (ENG)
22 février: Stéphanie Hyppolite
23 février: David Calizaire
24 février: Christine Mitton
25 février: Edem Awumey

27 février: Angelo Cadet
28 février: Marie-Christine Jeanty