Une rentrée mémorable !
5 Jan
À la lecture de mon précédent billet, une vieille amie, Christine, s’est souvenue que mon père avait été le premier Noir qu’elle ait vu dans sa vie. Elle avait 16 ans, à l’époque. Nous n’habitions qu’à 45 km de Montréal, mais un monde nous en séparait.
Le Saint-Jérôme de l’époque comptait autant d’habitants que l’Uqàm comptait d’étudiants quand j’ai commencé mon baccalauréat ! Et cette université était maintes fois plus cosmopolite que la la ville de mon enfance. À Saint-Jérôme, dans les années 80, je crois que je pouvais vous nommer par leur prénom tous les Noirs qui habitaient la ville (et j’inclus aussi les personnes métissées), vous citer leur pays d’origine et vous conter l’histoire de leur famille. C’est dire ! Dans mon souvenir, et sous toute réserve, je crois que nous n’étions même pas quinze, au total. Et je n’oserais pas affirmer que ces quinze personnes aient habité la ville au même moment.
La polyvalente que je fréquentais rassemblait tous les jeunes des villes avoisinantes : St-Antoine, Lafontaine, Ste-Sophie, Mirabel, St-Janvier, St-Colomban, St-Hippolyte, Bellefeuille, Prévost… Nous étions trois ou quatre mille élèves (mon souvenir devient flou) des troisième, quatrième et cinquième secondaire, incluant le secteur professionnel. Hormis quelques personnes passées à l’école privée (je peux vous les nommer, celles-là aussi !), c’était tous les jeunes de la région qui se retrouvaient à la même école. Trois Noirs, trois asiatiques. C’est tout ce qu’il y avait de minorités visibles à mon école. Pas surprenant que Christine n’ait vu, en chair et en os, une personne noire qu’à 16 ans !
J’ai été absente de la région durant de nombreuses années. J’y suis revenue en 2007. Choc culturel : à la pharmacie, au centre d’achat, à la clinique, partout où j’allais, je croisais des gens aux origines les plus diverses ! Le cheveux crépu, l’oeil bridé, le teint basané ou le sourcil épais, chacun apportait sa couleur à la vieille homogénéité jérômienne. Mais le plus beau, le plus étonnant pour moi, a été le premier jours d’école de ma Pitchounette.
Je me souviens, moi, de mon premier jour d’école à St-Jérôme. Il en fallait de l’aplomb, du caractère et de l’optimisme, à 6 ans, pour être la seule chocolate de l’école, avec son grand frère. Pour être celle qui avait de petits cheveux de laine d’acier (mon frère avait les cheveux à peine frisés !), pour répondre aux questions naïves des enfants : « Non, ça ne part pas quand je prends mon bain ». « Non, je t’assure, je n’ai pas pâli depuis le début de l’année, c’est simplement que tu me connais, maintenant. » Mais tout s’est bien passé, ils étaient gentils et j’ai eu une tonne d’amis (peut-être même plus que si j’avais été blanche!).
Au premier jour d’école de ma Pitchounette, la direction avait invité un artiste à venir chanter et faire l’animation pour les enfants. Nous étions tous massés dans le gymnase de l’école, avec nos petits. Tous les élèves de la maternelle à la sixième année, quelques dizaines de parents et les professeurs, sous une chaleur torride de fin d’été, laissez-moi vous dire qu’avant même que ça ne commence, on avait hâte d’en sortir ! Et tout à coup, le grand Zale Seck fait son entrée. Et quand je dis grand, c’est qu’il est grand ! Et d’un sourire si éclatant sur ce noir visage sénégalais, il illumine en un instant tout son public. Je suis estomaquée : mais quel chemin parcouru ! Quelle belle idée que d’inviter un Sénégalais à donner le spectacle de la rentrée !
Pendant que Zale s’adresse à son jeune public, le fait chanter et danser, je discute avec la maman qui est à côté de moi. Son petit Poussin à elle joue du djembé, comme Zalé. Son petit Poussin à elle a la même couleur que moi. C’est son premier jour de maternelle. C’est tout comme moi, à la différence près qu’il y a aussi une autre petite fille noire qui fait sa rentrée en même temps que lui. « Ha oui ? Il sait jouer ? », me suis-je étonnée. « Et il a apporté son djembé en plus ! » Mon regard allait du petit à la maman, et de la maman au petit. « Tu devrais l’envoyer jouer avec Zalé ! » ai-je finalement lâché. Elle l’a fait. Le petit Poussin de 5 ans a eu le courage d’aller se placer à côté de grand Zalé. Djembé coïncé entre les cuisses, il a levé le regard vers l’artiste. Il devait lui arriver à peine plus haut que le genou ! Zalé l’a laissé entamer la pièce suivante et tout le groupe s’est ensuite ajusté au rythme du petit. Voilà que Poussin donnait un spectacle endiablé devant toute l’école ! Ils ont tous dansé, ils ont tous chanté ! Quelle ambiance il y avait ! Et moi, tentant de contenir sans grand succès cette bouffée d’émotion, j’observais la scène. J’avais des larmes qui coulaient sur les joues. Poussin a commencé l’école, et c’était lui la star !
Les temps changent, et c’est très bien ainsi.
(Photo tam tam de la page d’accueil: Photo par: www.flickr.com/people/nonanet/
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